mardi 17 novembre 2009

Les "Années 90" au pied du Mur : la musique (2)

Partie 2 : les stars depuis le paradis

"Vous essayez de me faire croire que ces abrutis bruyants et décérébrés auront une importance quelconque pour la postérité ? Vous êtes priés d'avancer vos arguments. Et vite ! J'ai pétanque."
Paradis, service du patrimoine culturel. Les couloirs de la salle d'audience résonnent de cette voix de stentor qui, autrefois, faisait onduler les transistors. Sujet du jour: la musique populaire des années 90. Vaste débat auquel certains bloggeurs aussi stupides que téméraires ont voulu se frotter au début du XXIème siècle. Autour du King, enfoncé dans ses franges à veste (à moins que ce ne soit l'inverse), une bande de vieux briscards tenants du "c'était mieux avant". A la barre, un témoin s'avance. Cheveux blonds filasses dans le visage, chemise à carreaux dépenaillée, jean aussi troué qu'un emmental suisse.

- Veuillez décliner votre identité.

- Kurt Donald Cobain, arrivé ici le 5 avril 1994. Chanteur et guitariste du groupe "grunge" Nirvana.

- M. Cobain, vous étiez à la tête de l'une de ces formations qui a ramené le rock en haut des charts au début de la décennie. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

- On doit notre succès à MTV. Les gosses de l'époque, la fameuse génération X ne se retrouvaient pas dans la variétoche aseptisée que déversait la bande FM. En dictateurs du culturellement correct, les mecs de MTV ont vite compris que bien packagée, le mal-être se vendait aussi bien qu'un baril de lessive ; que ces mômes nihilistes et zappeurs seraient un jour des consommateurs, des décideurs. Seulement vous voyez pas comme un problème à vendre de la révolte aux heures de grande écoute ? J'ai jamais demandé à être le porte parole d'une génération née avec une télécommande entre les mains !


- Après votre disparition en 1994, des dizaines de groupes "rock" ont émergé avec plus ou moins de bonheur: Smashing Pumpkins, Rage Against The Machine, Green Day, Offspring... Les enfants de Nirvana ?

- Les guitares étaient à la mode et leur "icône" avait disparu. La nature ayant horreur du vide, une sorte de déferlante "pop rock", que je hais ce mot, s'est abattue sur les ondes. Certains étaient bons - Weezer a fait du super boulot à l'époque - mais bon nombre étaient aussi artificiels et insignifiants que les groupes dance qu'ils ont remplacé. Sous la houlette du label Epitaph, on a aussi voulu nous servir le "retour du punk" avec des groupes comme NOFX ou Blink 182. Mais franchement, une bande de californiens qui claquent le fric de papa pour casser des guitares et des skates, vous trouvez ça punk vous ? Outre-Manche, on nous a joué le deuxième round de "Stones VS Beatles" avec la rixe de cour d'école entre Oasis et le reste de la britpop (The Verve, Radiohead, Supergrass...). Ridicule. D'autres groupes ont été totalement montés en épingle par leur maison de disques avant d'être jetés aux oubliettes. Qui se souvient de Dog Eat Dog ou de Therapy ? Heureusement, cette frénésie n'a pas duré: vers 96, les Marshall se sont tus pour céder la place aux platines.

- Je vois. M. Cobain merci, vous pouvez vous asseoir. J'appelle un nouveau témoin à la barre. Veuillez décliner votre identité.


- Lesane Parish Crooks aka Tupac Shakur mec. J'me suis fait shooter le 13 décembre 1996 à Vegas.

- Quelle profession exerciez-vous ?

- Pourquoi tu veux que je te dise ce que je faisais en bas ? T'es flic ? Tout le monde connait Tupac !

- Je vois que le mitard céleste ne vous a guère calmé. Si mes registres disent vrai, le "hip hop" était l'une des cultures majeures de la fin du XXème siècle. Vous confirmez ?

- Une des ? Une des ? Mais bordel t'es qui toi ? Tu sors d'où avec ta banane et ta veste à frange ? On était les boss mon gars ! Les putains de boss... enfin, surtout nous. Les autres c'est des tocards.

- A qui faites-vous allusion ?

- Tous ces putains de guignols de l'East Coast. Ca se prend pour des durs mais il suffit que Tupac ouvre la bouche, pour qu'ils courent comme des cafards. Ces bouffons se prennent trop au sérieux. Les vrais gangsters - des mecs comme Cypress, Dre ou Snoop - savent se marrer. On cause dope, lowriders, flingues et pétasses. Pas comme ces bouffons de Public Enemy du Wu Tang et leur prêchi-prêcha de la rue. Je te parle même pas de cet enculeur de maman de Puff Daddy. Le pire ! Nous on est là pour faire du biz, te faire remuer du booty et palper tes dollars. Pas pour chroniquer la rue. Ils sont pris pour des curés ou quoi ?

Un homme noir de forte corpulence jaillit de l'assistance armé. Il hurle: "je vais te buter enfoiré d'bâtard". Rapidement maitrisé, le forcené se révèle être Biggie Smalls, plus connu sous le nom de Notorious BIG, ex-roi du hip-hop new yorkais mystérieusement assassiné quelques mois après son rival Tupac Shakur.

- Votre rivalité était donc réelle....

- Au départ oui. Mais les producteurs n'ont pas hésiter à jeter de l'huile sur le feu lorsqu'ils se sont rendus compte du potentiel commercial du clash. La France ne s'y est pas trompée en créant de toutes pièces la rivalité entre Paris et Marseille.

- Parlons-en de la France....

- Pas grand chose à dire. La scène française n'a émergé que pour satisfaire aux quotas stupides imposés par la loi Toubon. Sans votre ministère (amer) de la culture, les petits français se seraient sans doute épargné des "mon papa à moi est un gangster" et autres Menelik ; ces saloperies de boy's bands aussi d'ailleurs...

Un jeune homme au torse glabre s'écrie: "Objection votre honneur !".
- Rejetée, M. Nikolic.

Le dernier témoin s'avance à la barre.

- Didier Sinclair, disc jockey décédé le 30 octobre 2008.

- M. Sinclair, nous vous avons convoqué en tant que représentant de la culture électronique... A votre avis, quelle importance a eu ce mouvement dans les années 90 ?

- Tout le monde a tendance à prendre Cobain pour LA figure symbolique ; LE mec qui résume tout. Non. La décennie a bien plus été marquée par les DJ que par ces crétins chevelus qui n'ont fait que remettre au goût du jour le rock des 70's. Le Guitar Hero s'est fait DJ Hero. D'un univers marginal on est passé à une multitude de galaxies: house, techno, eurodance, IDM, breakbeat, trip hop, ambient, drum'n'bass.... Des mecs comme Laurent Garnier, Aphex Twin, ou les Propellerheads sont les héros d'une génération. Il suffit de voir le nombre de rejetons des Daft Punk pour s'en convaincre.

L'heure est à l'avocat général. Le procureur Jim Morrison prend la parole.

-Mesdames messieurs les jurés, nous sommes ici pour juger si les 90's laisseront une trace dans l'histoire musicale. Malgré les arguments avancés par les témoins n'oublions pas, n'oubliez pas, que cette décennie a vu proliférer les groupes préfabriqués et les rivalités créées de toute pièces. L'omniprésence, que dis-je, l'omniscience des majors et de la bande FM ont amené à éclosion des groupes tels que Pow Wow, G-Squad ou la fratrie Hanson. Des idoles préfabriquées ont été jetées en pâture à nos jeunes. Nous jugeons l'âge d'or de la musique purement commerciale, le Saint-Suaire du marketing culturel. Est-ce là un héritage que vous souhaitez laisser à l'humanité ? Croyez-vous réellement qu'une telle époque mérite la clémence ? Je ne le pense pas. Je requiers donc la peine maximale: le déni culturel et l'oubli le plus total.


"La parole est à la défense. Maître Thaws, vous représentez les années 90 et le monde des vivants. Avez-vous quelque chose à ajouter avant que nous ne délibérions ?"

L'avocat des 90's s'avance dans un nuage de fumée. La voix rauque, il murmure.

-"Malgré d'indéniables dérives marketeuses, les années 90 ont décloisonné les styles. L'émergence de la MAO et du sampling ont rendu la musique accessible à tous. Plus besoin de s'appeler Mozart pour donner corps à ses idées. Beaucoup d'artistes ont commencé à triturer de vieux sons pour en créer des nouveaux. Avec Endtroducing, DJ Shadow a même lâché le premier album exclusivement composé de samples. Ailleurs, des artistes cloisonnés se sont mis à collaborer. Les rappeurs se sont mis à causer aux métalleux sur Judgement Night. La même expérience a été reconduite sur la BO de Spawn. Tous les croisements devenaient possibles ! De vieux blanc-becs punks, les Beastie Boys, se sont même mis à rapper ! D'autres ont tenté le crossover improbable entre breakbeat, dub, rock et musique traditionnelle. Je pense à Asian Dub Foundation ; Prodigy et consorts ont même réussi la gageure de réconcilier deux scènes qui s'ignoraient superbement.

A la lumière de ces faits, je sollicite donc l'indulgence pour une époque qui a su faire tomber les murs. Françaises, français, belges, belges, mesdames et messieurs les jurés, cher lecteur, public chéri mon amour, c'est à vous de délibérer !"

Déjà publié :

1. Le CD, cheval du MP3 ?

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