samedi 21 novembre 2009

Les "Années 90" au pied du Mur : la mode (1)

Partie 1 : Early Years

La mode suit le cours des errances de ce monde. Multiple, elle obéit et réagit en même temps, comme un enfant libre arbitre les principes éducatifs de ses parents. Au début des années 90, l’Histoire, elle, n’a pas eu le choix : elle a bien du enfiler le grand sweat gris du chômage et y accrocher le petit ruban rouge du sida. Le bloc soviétique éclatait, partout les aiguilles s’affolaient, plongeant notre jeunesse dans des abîmes de perplexité identitaire le soir au coucher : “Putain mais comment je m’habille moi demain avec toutes ces conneries ?"

En pleine récession, l’envie ne manque pas d’en découdre avec les années 80 et d’envoyer leur quête effrénée d’argent et de pouvoir au diable vauvert. Une approche raisonnée de notre dressing voit donc le jour avec l’idée d’y puiser des basiques renouvelables dans une visée d’accompagnement durable : le jean Levi’s ou le caban par exemple et à mon 1+ 1 = 3, on accessoirise : un trou sur le jean, un pin’s sur le caban et te voilà à peu de frais la nouvelle gloire du lycée. Sauf que la télé t'abreuve de séries où l’argent coule toujours à flots : Beverly Hills ou le Prince de Bel Air pour les plus emblématiques, et te voilà vite battu par la doudoune Chevignon, le gilet Benetton, la salopette Chipie, le tee-shirt Naf-Naf, le sac à dos Creeks... compilés en mode concile oecuménique.


Doudoune chevignon "Togs Unlimited"
Réedition 2009, prix : 450 euros. Sans blague.


L’idée c’est d’en mettre plein la vue à défaut d’avoir quelque chose à dire. A l’instar de ces jeunes veaux que les sitcoms d’AB Productions assoient à des tables de cafèt' pour remplir du vide avec du rien dans une explosion de rires préenregistrés et de couleurs vives à vous en brûler la rétine. Les séries américaines donnent le la et tout sauf le bon goût est sauvé par le gong. Une sorte de coup d'état permanent aux nombres maximum d'imprimés et de couleurs autorisés sur une seule personne. Et à ce jeu-là, la chemise de Parker Lewis ne perd jamais.


Kelly Kapowski, la star de Bayside, et ses copines Jessie et Lisa,
dans un moment de vérité documentaire.


Et oui, les années 80 ont la vie dure et continuent de souffler leurs motifs bariolés, leurs matières élasthannes, leurs coupes improbables, l'infernal chouchou signe pour un nouveau quinquennat et lentement mais sûrement se composent les silhouettes revival 2009, de celles qui vous font glapir “We are the 90’s !!!” : un look hybride entre extravagance club et confort streetwear, carrot pants et chemise ample, sneakers aux pieds et vous voilà prêt à arpenter les rues de Harlem... la rue Victor Hugo de Metz attendra.


"Allez souris petite soeur, on a tout bon là."
Early 93 style


Pourtant, le sportswear commence à faire parler de lui en France. Alors que les Etats-Unis connaissent l’âge d’or du Hip-Hop, Patrick Bruel nous tient à distance. Le rêve américain s’incarne chez nous par des figures de légende du sport : Michael Jordan et André Agassi en tête, et s'approprie via leurs baskets en autant de modèles historiques pour Nike. Qui n'a pas rêvé des Air Jordan franchement ? Les Reebok Pumps et les joggings Adidas envahissent les cours de lycée et collège, et ce dès 1990. Chez les garçons, c’est simple voire binaire : soit ils affichent fièrement leur panoplie sportive, avec de la virgule et de la tribandes à tous les étages soit ils choisissent le camp No Logo en jeans bleached et pull camionneur marron.

La classe ultime à l'époque consiste à assortir sa pump à la couleur de son chouchou.


Pendant ce temps-là, dans le désert de la Sierra Madré, des jeunes poursuivent leurs quêtes d’identité en prenant du peyotl comme l'exige la tradition romantique américaine. De fait, la mode aussi se cherche, se gratte le menton, et finalement chausse ses sandales pour un petit pélerinage seventies. Cette décennie, c’est un peu la fille de transition, douce et réconfortante, la fucking friend vers laquelle on revient toujours lorsque certains caps sont difficiles à passer. Emmené en France par les stereobabs Vanessa Paradis et Lenny Kravitz, le pantalon patte d'eph revient en éternel étendard de paix et d’amour. A la différence que celui-là était souvent noir, en lycra-viscose-polyester donc moulant, à vous rhabiller pour l’hiver en choriste de Carlos Santana. Et bien-sûr avec lui : un nouveau déluge de couleurs Tye and Die, de franges en daim véritable, de semelles compensées, de blouses glouglouttantes, et autres breloques chipées en douce à votre mère.


Vanessa Paradis s'habillait de fripes chinées à Brooklyn.
Nous ben on chinait le pull chaussette chez Camaïeu.


Bon ça nous a fait rigoler deux ans et puis, le grunge nous est tombé dessus. Les robes à fleurs allaient frayer avec les Doc Martens, et les années 90 enfin accepter leur héritage incertain. Le grunge ne désigne pas seulement les mycoses qui se logent entre vos doigts de pied comme ultimes accessoires trendy du relâchement hygiénique exigé mais une expression musicale à la confluence de tous les paradoxes : candeur et désenchantement, énergie brute et fatalisme mou. L’heure n’est plus à la Winne-what-the-fuck-make-your-move mais à la lose-oh-well-whatever-nevermind. Car oui, cette néo-identité se mesure moins à l’ambition qu’au pragmatisme. L’ascension sociale, la réussite matérielle, le dépassement de soi tombent sous le coup d’un haussement d’épaules collectif. Et la mode suivra. Plus besoin de surdimensionner les épaules ou étrangler la taille... pour finalement déplacer des dossiers d’un bureau à une salle de réu en passant la main dans ses cheveux. On respire bien à fond, on libère la silhouette de ses entraves, on espace les poses de déodorant et du “T’en as pour combien sur toi ?”, on glisse vers le “C’est quoi cette odeur, c’est toi ?”. L’ode suprême rendue à cette génération X sera ironiquement “Smells Like Teen Spirit” de Nirvana.


"Ouais les gars, trop bien vue l'idée de poser sur une benne à ordures... mais c'est peut être pas assez transversal non ? "


Que dire sinon que des nations entières de mères ont pleuré sur l’allure clodo de leurs enfants calquée sur celle de Kurt Cobain : jean 501 défoncé, chemise à carreaux ouverte sur un tee-shirt large arborant des non-messages à caractère apolitique : “Whatever”, “I don’t care”, “Parle à ma Main”, le tout lesté de godillots pourris et d’un vieux chandail qui pue. L’idée c’est basiquement de ne ressembler à rien jusqu’en 1995.

Pas dit qu'après cette date, on ressemble à grand chose non plus... nous y reviendrons dans un épisode ultérieur qui sera largement consacré à l'explosion du streetwear. Beaucoup de crossovers de courants dans cette première partie mais la mode est ainsi faite de dérives... et de superpositions.

A venir :

2. optique 2000

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