Je m’assois à la terrasse du Fouquet’s, un peu stressé. Je suis sur le point de rencontrer celui qui a hanté mes jeunes années, la star la plus suivie du monde. Aujourd’hui elle truste sans frémir plus d’un milliard de fans, très, très loin devant les Rolling Stones, Mickael Jackson et U2 réunis. Rêve humide de tout manager qui se respecte, il modère ses apparitions et on compte ses interviews sur les doigts de la main, au sens propre. Les dernières ont donné lieu à un livre qui est juste le plus vendu au monde. Et il s’est passé pas mal d’années depuis.
Le voici enfin. Il attache sa croix à l’entrée de la terrasse et se dirige vers moi avec un sourire. Je me réfugie derrière mon White Russian comme un enfant qui a peur de perdre à cache-cache.
« Bonjour Albert. Je suis ravi de faire ta connaissance. »
Jésus, JE-SUS se tient devant moi, les dents à l’air et la main tendue, la couronne d’épines délicatement penchée sur une oreille à la Charlie Winston. Je maîtrise mon envie de partir en courant et tends ma paluche tremblante au plus gros « fils de » de tous les temps. Sa poignée de main est chaleureuse, son regard franc, le moins qu’on puisse dire c’est qu’il a la politique dans le sang.
« Je suis obligé de limiter notre entrevue à 30 minutes, tu m’en vois navré. La promotion de notre Église me prend un temps fou. »
Je calme l’épilepsie de mon stylo et commence l’interview que j’ai attendue toute ma vie.
Jésus Christ nom de D... nom d'un chien.
LMDC : Vous êtes donc le Messie, l’homme de la situation comme on dit. Des millions de gens vous prient chaque jour, ma première question portera donc sur la logistique : comment gérez-vous ces demandes ?
JC : Au début nous avons simplement répondu, prière après prière, avec mon père et ma mère. Mais cela s’est vite révélé inefficace. Nous étions débordés par la demande, et le taux de non-qualité a grimpé en flèche. On a même failli perdre la certification ISO 9001. Les prophètes ont géré un temps, mais nous avons rapidement du décentraliser en Inde et en Chine, notamment pour le tout-venant ; comme tout le monde me diras-tu, mais disons que dans notre business ça pouvait poser quelques problèmes de cohérence. Le concept a dépassé nos prévisions les plus optimistes, et si valorisant que cela puisse être, nos opérateurs se sont vite retrouvés débordés. Aujourd’hui nous avons des centres d’appel dans le monde entier, et nous parvenons à peine à épancher la demande.
LMDC : Vous êtes donc en difficulté face aux besoins des croyants ?
JC : Pas vraiment. Aujourd’hui personne n’est vraiment surpris de voir une prière échouer, ce serait plutôt le contraire. Avec l’équipe du marketing on a décidé de jouer à fond la carte du « essaie toujours », en créant une dépendance chez les pécheurs. Pour l’instant le système tient.
LMDC : Qu’en est-il des intégristes ?
JC : Nous les utilisons pour mettre un coup de boost de temps en temps, particulièrement lors des baisses de fréquentation. Cela dit nous avons une charte de qualité, produite en interne, qui interdit tout abus. C’est très délicat à utiliser et les erreurs se paient cash, on a vite fait de se retrouver complètement en dehors de son époque.
LMDC : Que pensez-vous des positions du Pape quant aux préservatifs ?
JC : Je n’ai pas nommé Benoît à ce poste par hasard, et je me félicite de ce choix. Parfois ses décisions me surprennent, mais il sait ce qu’il fait et j’ai toute confiance en son modèle de gestion. Je pense aussi que nous avons intérêt à ce que les croyants fassent un maximum d’enfants croyants, et ce n’est pas en prônant la contraception que nous y arriverons. Un fabricant de cigarettes qui offrirait des Nicopatch, vous en penseriez quoi ? (rires)
LMDC : Pensez-vous avoir encore votre place dans le monde actuel ?
JC : Je vous répondrais en deux points. Tout d’abord, ce monde n’est pas différent d’il y a 20, 200 ou 2000 ans. Je ne crois pas devoir vous rappeler que je connais bien toutes ces époques, et une chose ne bouge pas : l’Homme est un loup pour l’Homme, et il a besoin d’un berger. C’est là que notre produit se place. Nous sommes la réponse parfaite à tout ce qui reste un peu vide chez l’Homme. Deuxièmement, aujourd’hui tout est tellement fondé, expliqué, mis à nu, qu’il ne reste que deux façons de s’en extirper : la drogue et la religion. Vous ne me ferez pas pâlir d’être une alternative à la drogue. D’ailleurs la religion n’a jamais tué personne.
LMDC : Ben en fait, si…
JC : Ta gueule.
LMDC : Donc vous prônez l’addiction ? On pourrait résumer ça par « Garçon, l’addiction ? »
JC : Sans déconner….
LMDC : Pardon mais c’est rapport à la croix, je n’ai pas pu résister. Vous avez raison. Pardonnez moi Seigneur. Je ne sais pas ce que je fais.
JC : Je vois ça.
LMDC : Bon c’était drôle quand même. La croix, ça fait un « plus ». Comme pour une addition quoi.
JC : Je ne trouve pas. Vous êtes chiant comme type.
LMDC : Vous êtes un fils à papa qui se la pète.
JC : Vous voulez vraiment que je me fâche ?
LMDC : Même pas peur. Je suis fils d’ouvrier moi monsieur.
JC : Bon j’ai vraiment pas que ça à fiche. A papa.
LMDC : Ouais c’est ça adieu.