vendredi 13 novembre 2009

Les "Années 90" au pied du Mur : le cinéma

Nous autres, fiers et segmentants trentenaires, avons grandi dans les années 90. A des âges où l’on n’aime pas forcément les choses pour ce qu’elles sont (l’insondable complexité d’une femme par exemple) mais pour ce qu’on y projette de nous (...). On aime ce qu’ils disent de ce que l’on voudrait être, paré des plus beaux et ostensibles sacrements culturels d’une époque. Osons le dire via une de ces formules détestables chères à la télévision : ce sont les films culte pour toute une génération.



“Hey Bodhy, tu vas rire mais je crois que j'ai oublié mon parachute.
-Toi alors... allez viens par là. ”


Que d’émotions fortes que celles jaillissant de ces salles obscures, mêlant les plus folles destinées aux plus héroïques desseins, à la juste démesure de nos rêves d’alors. Paradoxalement, là où la vie se goûte tiède, du bout des lèvres, c'est bien tout le palais qui brûle et au premier degré. Les films aussi, on les prenait en pleine lucarne, sans voir les ficelles du jeu se resserrer sur la passe décisive. On se sentait flattés, on se croyait compris et aujourd’hui encore, on manque de lucidité : combien sommes-nous à soutenir que Point Break est le meilleur film de tous les temps ? A louer son tempo infernal, ses images à couper le souffle, cette magnifique histoire d’amitié scellée dans le dépassement de soi ? Combien ont revu le film à jeun de leur jeunesse ? Ou de leur orientation sexuelle naissante ? Bref, peu importent les facilités du scénario, l'indigence des dialogues, on goûtait surtout l’ivresse de lendemains exaltants.




“John, attention à toi, le T 1000 est un être fourbe qui peut prendre l'apparence d'un être cher.
- Comme d'une tortilla par exemple ?"

En effet, à un âge où l’on court après son destin comme un cheval sauvage, inconcevable de s’asseoir à un repas de famille, même après un beau baptême, surtout lorsqu’on peut boire à la corne d’abondance et vibrer au diapason de glorieuses aventures dont on serait le héros, le crayon et le dé en moins. On peut sauver par anticipation l’humanité toute entière dans la peau de John Connor, ce jeune garçon qui comme nous porte en lui la promesse d’une vie de légende : Terminator 2, choisir de s’en tenir modestement aux passagers d’un bus au boîtier de vitesses débridé : Speed ou enfin, et c’est pas de chance, à la femme qui nous a donné son innocence en 24 heures chrono et à qui, de fait, on doit obligeamment céder la place sur le radeau : Titanic.



"Je vole, Jack !

- Non Rose, tu a trop mangé pour ça."

Ces films épiques ont rencontré leurs publics sur la base d’arguments mixtes : le plus pur spectacle, les effets spéciaux démultipliant les possibles en autant de visions homériques : ressusciter des dinosaures / Jurassik Park, orchestrer l’invasion d’extra-terrestres / Indepedance Day, ou encore, on ne le dira jamais assez, chavirer numériquement un soi-disant insubmersible paquebot / Titanic.
Plus modestement, certains films faisaient le pari d’une génération en jouant avec nos sentiments. Les filles et les garçons statuaient sur leurs relations en élisant leurs films culte comme autant d’histoires d’amour, impossibles naturellement, en théorie / Romeo+Juliet, en pratique / Ghost, soit les deux / Sur La Route de Madison : trop jeunes pour ces conneries.



“ Edward, cette femme m’a traitée de pute.
- M’enfin monsieur, regardez-là, elle a tout l’air d’une pute non ? ” *

Avec Dirty Dancing, c’est la sexualité féminine qui marche dans les petits pas chaloupés d’un bad boy dansant mais c’est avec Pretty Woman que les jeunes filles connaissent le conte de fées ultime, except the shitty slutty part. Rencontrer l’amour et par là même, son ultime justification, ici littéralement son salut : indépendance et respectabilité. Heureusement que Thelma et Louise étaient là pour nous émanciper la femme au fin fond d’un canyon. Bref, c’est Point Break, nous le disions plus haut, qui porte l’amitié virile à sa plus fantasmatique expression : partager des bières oui, mais avant tout le danger, l’adrénaline, les douches collectives comme des vrais mecs à l’étroit dans leurs jeans. C'est finalement le Tomasi du Péril Jeune, son irrésistible bagout, sa fraîcheur inégalée, son ancrage parfaitement réussi, qui mettra tout le monde d’accord en France.



Ici on expie la paresse et ça sent pas la violette.


Alors bien sûr, on va aussi au cinéma pour avoir deux trois coups d’avance sur la vie, c’est l’heure des grandes révélations : si on ne choisit pas sa famille / Léon, il faut bien choisir ses amis / Trainspotting... le moment de tirer les leçons de l’histoire / La Vie est Belle, d’apprivoiser les fléaux de l’époque / Les Nuits Fauves, d’anticiper ceux de demain / L’Armée des 12 Singes. Et si on se laisse encore enchanter par de jolies fables modernes : Edward aux Mains d’Argent ou Forrest Gump comme autant d’odes à la différence, c’est aussi le moment de laisser au placard le croque-mitaine de notre enfance pour se confronter à la violence adulte et à ses multiples variations : cérébrale / Le Silence des Agneaux, sans-culotte / Basic Instinct, sociale / La Haine, stylisée / Seven, facétieuse / Scream, ou parfaitement débile / La Cité de la Peur.


Indémodable scène. A l'exception de cette terrible datation au carbone 90 : l'association jean/veste.


Comme toute generation in progress, il est bien sûr nécessaire d’affirmer son identité collective, de s’inscrire dans la rupture, de se reconnaître derrière un cinéma transgressif des codes à papa, que ce soit par le génie narratif / Pulp Fiction, les combats idéologiques / Fight Club ou la plus pure révolution formelle / Matrix. Loin de seulement refléter une époque, ces films en annoncaient d’autres, et qu’on aime ou pas ces visions de cinéma, on ne peut nier aujourd'hui leur héritage.

Pour conclure, difficile de dresser un inventaire exhaustif de ces "films-doudous" qui nous ont vu grandir ni de mesurer leur empreinte cinématographique réelle. Beaucoup ont mal vieilli, marqués au fer rouge par des tubes mièvres : I Will Always Love You / Bodyguard, un décalage poussif / Le Cinquième Elément, ou encore un langage tombé en désuétude : "méga teuf"**/ Wayne's World. Prisonniers de leur temporalité VHS, on les dézingue volontiers mais on les chérit en secret et c’est désoeuvré dans son pyjama qu’on les ressort du placard, avec ce sentiment de honte et de gourmandise mêlés : on sait que c’est pas bon pour notre ligne intellectuelle, qu’on ne retirera rien de ce spectacle souvent trop riche et sans surprise... mais à défaut du goût, on retrouvera la texture, caressante et veloutée, de ces idéaux fatalement déçus, de ces amours seulement rêvés... ou alors, en d'exceptionnels cas, on va revoir le film pour le film, rien que le film et seulement le film : Lost Highway.

* Cette vendeuse est bien sûr passée à côté du boum de la cuissarde en 2009.
** Ok, pour les puristes, en VO, c'est party time, toujours aussi cool.

1 commentaire:

  1. Salut ma chère,
    cette petite perspective cinématographique éclaire m'a fait prendre conscience du manque totale de responsabilité politique ou de volonté massive de transmettre un message autre que celui du divertissement qui caractérisait les années 90.
    L'ambiance chute du mur et fin de la guerre froide a manifestement contribué à propager une vrai atmosphère d'irresponsabilité, de légerté et d'amusement. La "fin de l'histoire" du cinéma en quelques sorte.
    Quel contraste en comparaison de la décennie suivante qui n'arrête plus de nous asséner les docus critiques d' Al Gore et Micheal Moore, qui fait du réchauffement climatique un des thèmes capables de faire un carton au box office.
    Dans les années 2000 le cinéma est vraiment redevenu porteur de thème de société, mais cette fois-ci de thème globaux.
    Et les années 2010? Avatar, Alice in Wonderland, Le Choc des Titans, je ne sais pas trop si ces films reflèteront la décennie. Honnêtement, je ne vois pas ce qu'ils peuvent distiller comme grand message.

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