jeudi 5 novembre 2009

L'Invasion des Profanateurs de... l'Âme

L'Invasion des Profanateurs de Sépultures
Titre original : Invasion Of The Body Snatchers - Don Siegel - 1956


Le titre, pour le profane, ne laisse rien présager de bon. Après l’attaque de la femme de 50 pieds et autres sangsues géantes, ça sent pas encore la moussaka de taille éponyme mais le bon vieux nanar des années 50, généreux et décomplexé... donnant à voir l’impossible avec des moyens absurdes. Et bien non, en lieu et place, un petit chef-d’oeuvre de science-fiction intelligente. La traduction du titre original nous enduit d’erreur, car le cinéaste Don Siegel va bien mettre l’humanité à l’épreuve de voleurs de corps et non de profanateurs de sépultures... même si profanateurs de sépultures, ne nous mentons pas, ça claquait bien. La confiance ne saurait être de mise pour autant et néanmoins, ce grand classique du cinéma fantastique, dans sa forme comme dans son propos, frappe encore par sa modernité. Adapté du roman de Jack Finney : The Body Snatchers par le scénariste progressiste Daniel Mainwarig, réalisé par Don Siegel, le moins gauchisant réalisateur de L’Inspecteur Harry, le film vibre de toutes ces sensibilités politiques autour de son vaste thème central : l’aliénation. Ce n’est donc pas le hasard si le film a fait l’objet de nombreux remakes, toujours au corps à corps avec les temps forts de l’Amérique, que ce soit le traumatisme post-Vietnam chez Phillip Kaufman ou l’après-guerre du Golfe chez Abel Ferrara.


L'Invasion à Visage Humain est en marche


Mais revenons au contexte fifties de l'oeuvre originale. Une petite ville de Californie : Santa Mira est le point de départ d’une invasion extraterrestre où les habitants sont remplacés durant leur sommeil par leurs décalques, identiques en tous points, dotés des mêmes souvenirs donc pas simples à confondre avec des QCM d’autant qu’ils sont dépourvus de l’essentiel, souvent invisible pour les yeux : une âme. La paranoiä s’empare bientôt de la ville car les habitants ne sont pas dupes de l’infâme substitution de leurs proches - qui reste de l’ordre de l’impalpable : cette petite lueur dans les yeux qui n’est plus mais qui fait tout - jusqu’au moment inexorable où ils seront remplacés à leur tour par leurs doubles désincarnés. Tout pourrait rentrer dans un Ordre décidé hors de nous mais une poignée d’irréductibles, le bon médecin en tête, attachée comme de juste à la pérennité de notre espèce, va tenter d’enrayer l’invasion des pr... voleurs de corps. Ceux-là mêmes qui traquent l’émotion et le libre-arbitre comme les derniers bastions humains à abattre. Une scène assez cocasse : la bien-aimée du héros, se compose le visage de Nicole Kidman, soit l’expression la plus naturellement inerte possible, pour se fondre dans la masse et ainsi échapper à ses poursuivants. Mais paf, un chien manque de passer sous les roues d’un camion et lui arrache un cri d’effroi. A nous aussi car, Ciel, la voilà découverte. La promesse extraterrestre restait cependant alléchante car « sans l'amour, le désir, l'ambition, la foi, la vie est tellement plus simple ». Oui mais quid de ces petites aspérités qui rendent la vie si délicieusement compliquée parfois ? Plus de tristesse oui. Mais plus de joie aussi. Marc Levy nous en ferait pleurer des rivières.


" Je suis formel mon ami, cette chose vous ressemble."


La parabole est bien sûr évidente et clignote en police 1956 : année de sa sortie aux Etats-Unis, en pleine Guerre Froide. En effet, de 1950 à 1954, la réponse à la menace rouge s’exprima par une traque sans merci des sympathisants communistes sous le haut-patronage inquisitorial du sénateur Joseph Mc Carthy. Tous et toutes étaient suspiciables... des fiefs de l’Administration jusqu’aux collines d’Hollywood... même votre gentil oncle Alphonse, toujours si serviable pour la communauté jusqu’à être inhumé avec son taille-haies, pouvait tout aussi bien nourrir dans l’ombre d’effroyables complots à son encontre. Le Mal à visage humain, le Mal partout. C’est à la source de cette méfiance généralisée que buvait le Maccarthisme autorisant en bonne âme et conscience toutes les délations... mais aussi Don Siegel lorsqu’il met en garde contre une humanité trop homogène pour être honnête... à tous niveaux de lecture politique. Car finalement, il n'est pas interdit d'y voir non plus une dénonciation de l'embrigadement communiste. Notons encore que ce sinistre épisode de l’histoire américaine : le Maccarthisme est également connu sous des appellations fantastiques : Peur Rouge ou Chasse aux Sorcières qui n’auraient pas dépareillé dans un drive-in de l’époque. Pour que le vertige soit total, sachez que le rôle-titre du valeureux médecin était tenu par un certain Kevin Mac Carthy.


Point de vue subjectif d'une cosse géante. Rare.


Dans le corps même du film, point de morceaux de bravoure déraisonnables, ni d’esbroufe spectaculaire mais de l’épouvante feutrée... plaçant dans un salutaire hors-champ la logitisque coloniale extraterrestre... si ce n'était ces cosses géantes accouchant des créatures humanoïdes comme d’une pure vision de cinéma. Par ailleurs, confier un film de science-fiction à un réalisateur de polars était une riche idée car le rythme est haletant, pas de temps mort... entre l’avènement de la menace et le début de l’invasion à grande échelle, les courses-poursuites désespérées vont bon train. Le tout mâtiné d’une romance aux accents délicieusement désuets. Du ciné-club que l’on ne voit pas seulement dans l’hommage passéiste mais avant tout avec plaisir.

Alors ne le ratez pas au hasard de sa programmation en salles : il est toujours projeté à l’Action Christine dans le quartier Saint-Michel. Sinon, faites vous une toile, comme on dit, dans le confort douillet de votre salon et surtout, comme conclurait Marc, tâchez de toujours garder en vie cette petite étincelle dans les yeux.

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