Don't you see The Big Picture ?

Who’s That Knocking At My Door - Martin Scorsese - 1967.

Sans point d’interrogation. Pas d’erreur de frappe. Clore un titre de film par un point d’interrogation est, selon certaines croyances hollywoodiennes, supposé porter malheur. Martin Scorsese est de ceux qui ne rigolent pas avec la superstition... surtout qu’il n’est alors qu’un apprenti cinéaste de 25 ans, la tête et les tripes étalées sur le billot.

Tout premier film à l’histoire compliquée. Remanié maintes fois, parce qu’il déçoit dans sa première mouture Bring on the Dancing Girls le mentor de Martin : Haig Mannogian, parce qu’il ne trouve pas de distributeur dans sa seconde version plus aboutie I Call First, le film atteint son ultime justification avec l’insertion d’une séquence éroticonirique, à vocation auteurisante, sous le haut-patronat du producteur Joseph Brenner. Et c’est sur un air de The End que la combustion des chairs lui ouvre enfin les Portes du Cinéma. La suite, on la connaît... et le moins que l’on puisse dire c’est que ça valait le coup de convoquer les fesses de Anne Colette labellisées French Touch.
Alors, Who's That knocking at Our Door ? Quelques scènes troublantes de maîtrise, dont le repas matriarcal qui ouvre le film, disent déjà la messe mais pas de miracle, le film porte les stigmates de ces multiples remaniements dans sa forme narrative : flashbacks, ruptures, longueurs, et montage bien en peine de réunir des éléments forcément disparates. Il n’empêche : le film, tout boursouflé qu’il est, a trouvé un certain état de grâce dans son chemin de croix.

JR & The Girl

Si Who’s That Knocking At My Door ne suffit pas à le faire passer maître, les fondations du cinéma scorsesien sont néanmoins posées. On y suit JR, le tout jeune Harvey Keitel, électriseur de pellicule, petite frappe de Little Italy, écartelé entre ses activités peu orthodoxes et l’envie de s’ennoblir à vivre aux côtés d’une femme belle et bien comme il faut - mais pas tout à fait... Âpre lutte à venir entre ce que JR est, entre ce que JR veut.
Tantôt serré comme un espresso avalé dans un bouge de Little Italy, tantôt dilué dans un gobelet de sock juice à emporter, le café de Marty sera servi déjà bouillant des sources de tiraillement du cinéaste : l’héritage italien et le rêve américain, la religion catholique et la violence qui gronde jamais très loin, la mère et la putain... Le cinéma de Scorsese naît des brèches fumantes de ces paradoxes, dualité que l’on peut retrouver dans la forme involontaire du film : montage des séquences originelles tournées en 35 mm et des scènes additionnelles filmées en 16 mm alternant respectivement bravades de petit-mafieux sans envergure et romantisme bavard très Nouvelle Vague... ou encore les chutes d'un film de fin d’études mêlées aux néo-ambitions d’un film d’époque.

Reste que c’est beau un cinéaste qui naît sous vos yeux. Vraiment beau. Car au-delà des aventures de JR & The Girl (on ne connaîtra jamais son nom), c’est Marty qu’on regarde se débattre entre contraintes de production et audaces stylistiques. On regarde et on sait. On sait que ça se termine bien pour lui. On se délecterait presque des erreurs tant on les sait seulement initiatiques. Un champ d'expérimentations à voir pour ce qu'il est aussi. Un vrai film dans le film.

Young Marty

Alors Guess Who’s That Knocking at Your Door ?

En salles depuis le 10 juin.

Et bien sûr, quelques perles sixties de la bande son du film à écouter dans notre Mix&Cook.